Page 1 sur 1

Questions sacrilèges au sujet de l'avenir de l'art primitif

Posté : 31 déc. 2018, 19:38
par Ingesandre
Bonsoir,

Dans un de ses posts (ma mémoire est trop courte pour que je puisse dire à quel sujet), Fricotin12 écrit :

"En parlant de nettoyage, un ami (connaissant bien le milieu élitiste art premier) me disait que la plupart des grandes ventes d'Art tribal faisaient retoquer leurs objets. Je lui demandai plus de précisions, il me répondit : ils sont envoyés en restauration, réparés, nettoyés et repatinés."

Ceux qui collectionnent des objets d'art premier pour leur intérêt ethnographique ne voient sans aucun doute pas la chose de la même manière que ceux qui collectionnent ce qu'ils concoivent (désolé, mais sur mon petit clavier QWERTY je n'ai accès à la cédille que si j'écris d'abord en Word) comme des oeuvres d'art, avec un petit intérêt ethnographique explicatif mais sans plus.

Je fais partie de ces derniers. Quand je vois sur d'anciennes photos l'aspect que les statuettes et masques que nous collectionnons avaient in situ, je dis non merci ! Chez nous, les objets sont présentés dans un milieu tout à fait différent, dans des appartements qui changent entre très humides et très secs, ils ont besoin d'être dépoussiérés de temps en temps, nous voulons les toucher et les voir et nous voudrions qu'ils vivent plus lontemps que leurs parents et ancêtres qui n'ont jamais quitté l'Afrique et dont il ne reste que poussière. (Merci, en passant, aux collecteurs et collectionneurs des temps passés pour tout ce qu'ils ont sauvé de l'oubli !)

À moins de pouvoir mettre les objets en vitrine, comme dans un musée, à humidité et température bien réglée, je trouve tout à fait légitime qu'on les traite pour les aider à survivre "en toute beauté". Leur aspect ne sera sans doute pas comparable à leur aspect "authentique", mais de toute manière nous n'aurons jamais cet aspect authentique à moins de réveiller des morts et de leur demander de venir danser pour nous.

Une autre question que je me pose souvent, est ce qu'il adviendra de l'intérêt pour l'art primitif le jour où il n'y aura plus de "primitifs" et où leurs enfants et petits-enfants, ainsi que nos enfants et petits-enfants à nous, ne vivront plus.

C'est un domaine où l'on crée de moins en moins d'objets nouveaux, et mon exprience de plus de 50 ans de collection dans d'autres genres me dit que le plaisir de collectionner s'estompe vite dès qu'il n'est plus alimenté par de nouveaux objets.

J'espère que ce post ne va pas vous gâcher votre réveillon, ni votre Nouvel An.

Bonne Année !

André K.

Re: Questions sacrilèges au sujet de l'avenir de l'art primitif

Posté : 03 janv. 2019, 11:58
par veronique
Bonjour André,

on peut supposer que par "primitifs" vous entendez "animistes" - ?
Car des primitifs, il y en a et y en aura toujours partout. Hélas.

Autrement, très étonnée par vos préoccupations matérielles, André.
Croyances et traditions anciennes perdurent, en Afrique, en Asie,... et même en Suède, il me semble. Vous allez encore manger des kanelbullar pendant que les mariachis se déchaînent au Mexique, que le théâtre No et les Sumos attirent les foules au Japon, que les Asiatiques font des prières à leurs ancêtres, que les Fon entrent en transe durant leurs cérémonies, que Firmin confectionne des costumes de torero à Madrid. Etc, bien sûr.
Et, bonne nouvelle, Mozart n’est pas mort.
Peut-être n’ai je pas bien compris le sens de votre message - ?
Bonne journée !
véronique

Re: Questions sacrilèges au sujet de l'avenir de l'art primitif

Posté : 03 janv. 2019, 14:29
par Ingesandre
Bonjour Véronique,
Pour ma deuxième question/préoccupation, j’ai employé le terme ‘primitif’ entre guillemets (le jour où il n’y aura plus de « primitifs ») au sens de « créateurs d’art africain traditionnel subsaharien », qui est bien plus long. Encore dans les années 50 on parlait d’art nègre, puis primitif (pourquoi pas, les primitifs flamands n’ont rien de «primitif » au sens péjoratif) ou premier (un terme que je trouve très difficile à faire entrer dans certaines phrases : il n’y aura plus de « premiers » ?).
Mais là n’est pas la question. Je crois que pour collectionner, il faut d’abord un certain contact, une certaine proximité entre le collectionneur et le collectionné. Mon intérêt pour les perles de troc africaines se réduit par exemple aux perles d’origine vénitiennes (surtout millefiori et chevrons) parce que j’aime beaucoup Venise. Je pense que le sentiment de proximité avec les cultures africaines traditionnelles s’affaiblit très vite, pour nous avec le temps et la disparition de nos « oncles » qui travaillaient en Afrique coloniale, pour les Africains avec l’augmentation vertigineuse de la population (400-500 millions de Nigériens en 2050, presque tous nés en ville) et l’exode rural. Je parle beaucoup, quand je suis à Paris, avec des Africains, et la plupart ont – comme vous le savez - d’autres préoccupations que l’art traditionnel et l’animisme. Pour ce qui est du passage de certaines « civilisations », de certaines manières de vivre, je suis toujours frappé par l’énorme distance qu’il y a par exemple déjà entre la campagne de mon Alsace natale dans les années 40-50 et le monde où grandissent mes petits-enfants.
L’autre condition, à mon avis encore plus importante pour collectionner, est que l’objet à collectionner se trouve en assez grande quantité pour être collectionnable. C’est certainement une opinion tout à fait personnelle, mais je vois qu’après avoir collectionné les estampes anciennes pendant 30-40 ans, j’ai un beau jour vendu ma collection lorsque les estampes (d’avant 1800) se faisaient trop rares sur le marché (du moins pour pouvoir en acheter à des prix raisonnables). J’ai arrêté de collectionner les cd. Déjà dans les années 80 je n’ai pas réussi à intéresser mes enfants à la philatélie. Je les comprends, avec ces timbres auto-collants (ce qui n’empêche que sur Delcampe le marché des timbres semble se porter bien).
Bref, j’en suis à l’âge où on a le temps de se poser des questions et où on s’en pose de plus en plus. Avec l’art traditionnel subsaharien, le nombre d’objet « authentiques » à découvrir, à entrer sur le marché, va sans aucun doute diminuer drastiquement. Il n’y aura bientôt – du moins je le pense – plus d’artistes traditionnels en Afrique subsaharienne pour travailler pour leurs compatriotes animistes, et les collectionneurs se trouveront un nouveau champ d’intérêt.
Je parle, je parle, ou plutôt j’écris, une manière bien connue de parler sans être interrompu, mais qui permet d’essayer ses idées en place.
Pour ce qui est des croyances et des traditions qui perdurent, je n’y crois pas trop. Je n’ai pas du tout les mêmes croyances que ma grand-mère, et beaucoup de nos traditions ne sont en fait pas si anciennes que ça. La kanelbulle suédoise, qui est l’équivalent du croissant français (à condition qu’on aime la cannelle), est still going strong, mais le lutfisk est mort et enterré et même le surströmming me semble en voie de l’être.
Mozart est mort (je remercie souvent le ciel qu’il ait jamais vécu), mais si vous regardez autour de vous au concert (du moins en Suède), la moyenne d’âge est très élevée. Et dieu sait ce que l’avenir réserve aux corridas.
Voilà ce que je voulais dire par « primitif » et pourquoi je me pose des questions sur la collectionnite, ce qui me semble nécessaire à son départ et comment elle évolue.
Il faudrait un smiley pour dire "j'ai mauvaise conscience de vous avoir fait predre votre temps"...

André K.

Re: Questions sacrilèges au sujet de l'avenir de l'art primitif

Posté : 03 janv. 2019, 15:00
par veronique
:have_a_nice_day
On ne perd jamais son temps quand on entend un point de vue différent du sien !
Bonne journée, André.
véronique

Re: Questions sacrilèges au sujet de l'avenir de l'art primitif

Posté : 17 mars 2021, 20:47
par Skall
Bonjour à tous,
Ô, comme je comprend ces questions... Le temps fait son œuvre... Mais ne soyons pas pessimistes, je pense qu’il y aura un regain pour les cultes animistes, tant l’on peut être déçus des monothéismes dictatoriaux...
En Asie du Sud-Est, par exemple, le culte des amulettes est un culte plutôt récent, dont les prix s’envolent, et dont l’interêt à émerger vers 1830/50 et connaît son âge d’or présentement 🙂.
Et puis, le genre humain est plein d’imagination, ouvrons les yeux, le primitivisme d’aujourd’hui est peut-être en train de naître ici ou là...