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Exécution à l’épée congolaise vers 1885

Posté : 04 sept. 2021, 20:20
par Ingesandre
Bonjour,

Je suis en train de lire « Tre år i Kongo » (Trois années au Congo) publié en 1887-1888 à Stockholm.

Le premier tome contient le récit de Peter Möller « Vid nedre Kongo » (Au Bas-Congo), de 348 pages.

https://www.kaowarsom.be/documents/bbom ... eter_A.pdf

Le second contient « Vid öfre Kongo » (Au Congo supérieur) de Georg Pagels (148 p.) et « Tvärs genom Afrika » (L’Afrique d’Ouest en Est) de Edvard Gleerup (353 p.).

http://www.kaowarsom.be/en/notices_page ... _guillaume
https://www.kaowarsom.be/en/notices_gle ... re_edouard

C’est une lecture passionnante, avec beaucoup d’informations et de nombreuses illustrations. Comme cet ouvrage n’a – autant que je sache – jamais été traduit en français ou dans une autre langue, je voudrais partager avec vous un passage où Pagels décrit une exécution d’esclaves lors de l’enterrement d’un chef de tribu (p. 66-70) et qui intéressera sans doute les collectionneurs d’armes parmi vous. Ne vous gênez pas pour me proposer des améliorations à ma traduction !

« Dans l’un de ces villages [à Bolobo, sur la rive gauche du Congo, à un peu plus de 100 km au nord de Kwamouth] nous fumes témoins d’une fête d’un genre des plus atroces. Un chef de peu d’importance venait de mourir et autour de sa dépouille dansaient une cinquantaine d’indigènes exaltés, hommes, femmes et enfants. Le corps du défunt était peint d’ocre rouge avec, par endroits, des points blancs. Il était en partie enveloppé d’étoffes européennes, et près lui était posée une calebasse de vin de palme ainsi que divers ustensiles de ménage qui devaient suivre le mort dans sa tombe ou être placés sur celle-ci.

Les cérémonies lors d’enterrements sont en gros les mêmes dans tout le Congo supérieur ; les différences sont dues au rang que le mort occupait de son vivant.

Si le mort est un chef d’une certaine influence, on organise toujours de grandes cérémonies. Ses entrailles sont enlevées et le corps est fumé, après quoi il est porté en grande pompe à travers les villages voisins, périple au cours duquel il arrive souvent que les porteurs, ivres de « pombe » [sorte de bière de bananes, de maïs, de mil ou de sorgho], tombent à la renverse avec leur fardeau. De retour au village, le corps est placé sur un lit de parade entouré d’une multitude d’objets considérés comme pouvant être utiles ou nécessaires au mort dans un autre monde. Le corps, qui comme dans le cas dont nous avons été témoins était ornementé d’ocre blanche [kaolin ?], jaune et rouge, est enveloppé dans une multitude de tissus européens et de perles. Une grande calebasse de pombe est toujours enfouie parmi ces objets ; dans son nouveau monde, le mort est censé pouvoir en prendre une gorgée de temps en temps pour se revigorer. Alors que les Bayanzi enterrent leurs morts de cette manière, enroulés dans des étoffes européennes, les tribus autour de l’équateur [donc plus au nord que Bolobo] les enterrent dans des troncs d’arbres creusés. En règle générale, les corps sont enterrés dans la terre, mais si le sorcier découvre chez le mort quelque mauvais esprit, le cadavre est jeté sans plus dans le fleuve où il sert de nourriture aux crocodiles.

Les orgies les plus sauvages ont lieu dans le village du mort avant et après ces funérailles. On tire au fusil – le nombre de coups dépend du rang du mort – et pendant plusieurs nuits et jours on entend le battement des tambours ainsi que les danses et les cris. Au cours de ces festivités ont lieu de nombreuses libations, ce qui fait que tous les participants sont ivres, hommes, femmes et enfants. Les épouses du mort errent dans les villages en gémissant et pleurant, de sorte qu’on pourrait croire qu’elles sont en proie à un profond chagrin. Il n’en est cependant rien. Tout cela n’est que cérémonie.

Le plus atroce à quoi on puisse avoir à assister, sont les nombreuses exécutions qui ont toujours lieu à la mort d’un propriétaire d’esclaves. Le nombre de victimes dépend de la position sociale du mort. Des exceptions à la règle ne sont faites que si le mort avait des dettes, auquel cas les esclaves sont vendus pour payer les dettes. Souvent on prend pour ces sacrifices non pas des esclaves du village auquel appartenait le mort, mais on en achète d’autres pour les tuer.

Les esclaves qui doivent être sacrifiés sont ligotés immédiatement après la mort de leur maître pour les empêcher de fuir, ce qui semble cependant être une précaution inutile car aucun de ces pauvres condamnés à mort ne trouverait certainement asile ailleurs que chez l’homme blanc. Il semble aussi que les esclaves se laissent exécuter avec un mépris de la mort remarquable ou peut-être plutôt une indifférence animale.

Au cours de ces exécutions, le sauvage à l’occasion de montrer toute sa cruauté. Quand ce sont des hommes, les victimes sont décapitées, quand ce sont des femmes elles sont écrasées à coups de massue ou noyées.

Pour la décapitation, le délinquant [sic] est attaché à un poteau (en général un plant de bananier coupé à la bonne hauteur), les bras et les jambes étroitement liés. Puis l’horrible célébration commence par des danses autour de la victime, les hommes visant de leurs lances et de leurs couteaux la tête ou d’autres parties de son corps, le tout dans un vacarme infernal. Cette clameur, pendant laquelle sont consommées de grandes quantités de pombe et de vin de palme, continue parfois pendant plusieurs heures, après quoi le bourreau, en atours de fête, vient donner au pauvre homme le coup de grâce. On lui bande alors les yeux, les tambours et les cris s’arrêtent, la tête de la victime est attachée à une perche plantée en terre de manière à ce que son cou s’allonge d’une manière démesurée, avant que le couteau étincelant ne sépare enfin la tête du corps. Cette tête est projetée haut en l’air par la perche courbe tendue, après quoi elle est traînée à coups de pied sur toute la place. Les spectateurs s’enduisent le visage et le corps nu du sang de la victime et exigent à grand bruit que l’on amène la victime suivante, après quoi le même cérémonial recommence. »

Ce récit est accompagné d’une gravure sur bois très explicite, mais je pense que le dessin sur lequel elle est basée n’est pas de Pagels, qui dans un autre passage note qu’il ne sait pas dessiner. Je pense qu’il est plutôt l’œuvre d’un spécialiste de l’illustration en xylogravure, un procédé rapide et très courant avant qu’il ne soit détrôné par la photographie, et que cet artiste-artisan s’est inspiré du récit de Pagels et de l’épée qu’il avait sans doute rapportée avec lui. (Il avait, ainsi que ses deux co-auteurs, un passé de militaire.) On trouve dans « Tre år i Kongo » des illustrations gravées d’après des photos, mais uniquement des paysages ou des personnages immobiles.

La gravure qu’on voit ici ne me semble pas inspirée de celle du livre de Stanley (1885), que je trouve moins bonne. Entre autres, on voit bien mieux dans Pagels comment le bourreau tient l’épée.

Quelques pages plus loin, Pagels donne aussi des gravures avec d’autres armes, surtout des couteaux et des épées. Je suppose qu’elles représentent des armes qu’il a rapportées d’Afrique, mais il est possible aussi qu’elles se basent sur d’autres sources écrites. Si ces autres armes vous intéressent, dites-le-moi, je les mettrai sur le forum.

Voici un lien vers un site italien sur le même sujet :

http://zweilawyer.com/2011/04/26/spade- ... li-ngombe/

Je suis à votre disposition si vous avez des questions sur « Tre år i Kongo ».

Cordialement,

André