par Ingesandre » 27 déc. 2018, 17:50
Ah la patine ! Mais puisque Fricotin12 veut en parler, parlons-en.
Il peut être utile de partir du constat qu’il y a deux sortes de patines, la patine qui résulte du vieillissement et de l’usage d’un objet (on parle alors de « patine d’usage ») et la patine artificielle, qui est ajoutée à un objet pour obtenir un certain effet. Si vous passez devant le Baiser de Rodin aux Tuileries et que vous avez l’impression qu’il a changé de couleur, c’est peut-être parce que l’ancienne patine était trop usée et qu’on l’a refaite – et différentes épreuves du baiser ont des patines (artificielles) de couleur différente.
Voici ce qu’écrit A.-M. Boyer sur la patine artificielle dans un passage où il traite du type de bois utilisé par les Baoule :
« Pour les statuettes de génies de la brousse, les Baule choisissent un bois dur […], noirci ensuite avec un mélange de latex de figuier d’eau et de suie des foyers domestiques ou teinté en rouge avec les graines du fruit du rocouyer […]. » (Boyer 2008, p.80)
Ailleurs – je ne sais plus où – j’ai lu que certains sculpteurs avaient des « fumoirs » où il brûlaient des feuilles vertes pour couvrir leurs sculptures de suie noire. On connaît aussi l’usage de certaines boues dans le même but. Ce sont là des procédés d’artistes traditionnels, en aucune manière réservés aux faussaires et aux fournisseurs du marché pour touristes.
Voici un extrait d’un article de P. Knops, facile à télécharger du net, et que je recommande à tous ceux qui s’intéressent à la patine :
« En Afrique occidentale, entre autre chez les Bambara, les Bobo, les Sénoufo, les Baoulé, les Holli, où cette boue, qui semble être une terre spéciale, n’est pas toujours à portée de main du
forgeron-artisan, de nombreuses statuettes et masques en bois sont grisâtres et mats. Ils avaient été patinés au noir de charbon de bois et frottés à l’huile d'arachide au lieu d'huile de palme : dans leur manipulation ce noir plus rugueux, plus granuleux, plus poussiéreux, parce que mal fixé sur le bois, s'enlève à l'usage. » (P. Knops, Valeur de la patine et des couleurs pour la chronologie des objets ethnographiques nègres de l’Afrique occidentale, Extrait du bulletin de la Société royale belge d’Anthropologie et de Préhistoire, Tome LXVIII, 1957.)
En comparant ma statuette avec celle de Norach68, je suis surpris par leurs ressemblances. Je pense que les deux sont taillées dans le même bois et enduites de la même patine, peut-être ce mélange de latex et de suie dont parle Boyer, à en juger par l’épaisseur de traces qui restent.
La plupart des blolo (bla ou bian) qui servent sont fréquemment manipulés par leurs propriétaires, ce qui use la patine artificielle au latex et à la suie. Lorsque leurs propriétaires meurent, ces objets sont mis à l’écart et amassent la poussière. Après quelques années, avec un peu de chance pour les collectionneurs, ils seront peut-être vendus (jetés si pas de chance), et il serait étonnant que la famille ou l’un des marchands intermédiaires n’éprouve pas le besoin de nettoyer cette statuette grise et poussiéreuse pour en tirer un meilleur prix.
Jugez-en vous-mêmes. Ne trouvez-vous pas qu’il y a beaucoup de ressemblance entre la patine (patine artificielle patinée par l’usage) de ces deux têtes ? (J’espère que Norach68 me pardonnera de lui avoir emprunté sa photo.)
Pour le reste, je vois maintenant qu’il y a beaucoup de différences formelles (oreilles, yeux, etc.) mais quand même un grand air de parenté (les scarifications en forme de flèche!). Les deux statuettes ont un type de patine que j’apprécie parce qu’il fait bien ressortir le travail du sculpteur.
Dommage que dans cette discussion mes questions sur la coiffure et les seins de ma statuette aient été oubliées.
Cordialement,
André K.
- Fichiers joints
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Ah la patine ! Mais puisque Fricotin12 veut en parler, parlons-en.
Il peut être utile de partir du constat qu’il y a deux sortes de patines, la patine qui résulte du vieillissement et de l’usage d’un objet (on parle alors de « patine d’usage ») et la patine artificielle, qui est ajoutée à un objet pour obtenir un certain effet. Si vous passez devant le Baiser de Rodin aux Tuileries et que vous avez l’impression qu’il a changé de couleur, c’est peut-être parce que l’ancienne patine était trop usée et qu’on l’a refaite – et différentes épreuves du baiser ont des patines (artificielles) de couleur différente.
Voici ce qu’écrit A.-M. Boyer sur la patine artificielle dans un passage où il traite du type de bois utilisé par les Baoule :
« Pour les statuettes de génies de la brousse, les Baule choisissent un bois dur […], noirci ensuite avec un mélange de latex de figuier d’eau et de suie des foyers domestiques ou teinté en rouge avec les graines du fruit du rocouyer […]. » (Boyer 2008, p.80)
Ailleurs – je ne sais plus où – j’ai lu que certains sculpteurs avaient des « fumoirs » où il brûlaient des feuilles vertes pour couvrir leurs sculptures de suie noire. On connaît aussi l’usage de certaines boues dans le même but. Ce sont là des procédés d’artistes traditionnels, en aucune manière réservés aux faussaires et aux fournisseurs du marché pour touristes.
Voici un extrait d’un article de P. Knops, facile à télécharger du net, et que je recommande à tous ceux qui s’intéressent à la patine :
« En Afrique occidentale, entre autre chez les Bambara, les Bobo, les Sénoufo, les Baoulé, les Holli, où cette boue, qui semble être une terre spéciale, n’est pas toujours à portée de main du
forgeron-artisan, de nombreuses statuettes et masques en bois sont grisâtres et mats. Ils avaient été patinés au noir de charbon de bois et frottés à l’huile d'arachide au lieu d'huile de palme : dans leur manipulation ce noir plus rugueux, plus granuleux, plus poussiéreux, parce que mal fixé sur le bois, s'enlève à l'usage. » (P. Knops, Valeur de la patine et des couleurs pour la chronologie des objets ethnographiques nègres de l’Afrique occidentale, Extrait du bulletin de la Société royale belge d’Anthropologie et de Préhistoire, Tome LXVIII, 1957.)
En comparant ma statuette avec celle de Norach68, je suis surpris par leurs ressemblances. Je pense que les deux sont taillées dans le même bois et enduites de la même patine, peut-être ce mélange de latex et de suie dont parle Boyer, à en juger par l’épaisseur de traces qui restent.
La plupart des blolo (bla ou bian) qui servent sont fréquemment manipulés par leurs propriétaires, ce qui use la patine artificielle au latex et à la suie. Lorsque leurs propriétaires meurent, ces objets sont mis à l’écart et amassent la poussière. Après quelques années, avec un peu de chance pour les collectionneurs, ils seront peut-être vendus (jetés si pas de chance), et il serait étonnant que la famille ou l’un des marchands intermédiaires n’éprouve pas le besoin de nettoyer cette statuette grise et poussiéreuse pour en tirer un meilleur prix.
Jugez-en vous-mêmes. Ne trouvez-vous pas qu’il y a beaucoup de ressemblance entre la patine (patine artificielle patinée par l’usage) de ces deux têtes ? (J’espère que Norach68 me pardonnera de lui avoir emprunté sa photo.)
Pour le reste, je vois maintenant qu’il y a beaucoup de différences formelles (oreilles, yeux, etc.) mais quand même un grand air de parenté (les scarifications en forme de flèche!). Les deux statuettes ont un type de patine que j’apprécie parce qu’il fait bien ressortir le travail du sculpteur.
Dommage que dans cette discussion mes questions sur la coiffure et les seins de ma statuette aient été oubliées.
Cordialement,
André K.