par tapa pacifique » 07 avr. 2008, 01:14
Pour Luc.
Chose promise, chose due, je viens vous donner quelques explications concernant votre étoffe d’écorce. Ainsi que vous le pensez, il s’agit bien d’un tapa à « touriste », ce qui n’enlève rien à la beauté des décors.
Je ne sais trop à quel endroit vous l’avez acheté ; ce peut être Port-Moresby, Lae, Madang…ou ailleurs en P.N.G., mais sachez qu’en réalité il doit provenir d’Irian Jaya, et plus précisément du lac Sentani. Irian Jaya et Papouasie Nouvelle-Guinée composent la même île de Papouasie et la séparation administrative ne fut réalisée que dans les années 1980 (le nord revenant à l’Indonésie – Irian Jaya – et le sud prenant son indépendance par rapport à l’Australie, P.N.G.).
Quoiqu’il en soit, ce type d’étoffe d’écorce est une acculturation totale des ethnies bordant le lac en question. Elles (les étoffes peintes) ne virent le jour, qu’au début du 20ème siècle (entre 1915 et 30), et ce sous l’influence d’un journaliste français –J. Viot-, lequel donna des crayons de couleur et encouragea les autochtones à dessiner. Il rapporta ces tapa ainsi colorés en Métropole et les montra aux artistes du mouvement surréaliste qui y trouvèrent source d’inspiration….la chose était jouée, et exposition sur exposition, cet art entra dans la vie coutumière des populations.
Dans la manière de pratiquer, il faut savoir que si les femmes battent la matière de base, seuls les hommes réalisent les dessins, reprenant souvent leur monde imaginaire déifié. Ce peut être des poissons, des insectes, des objets pour la partie figurative, ou des symboles géométriques pour la partie abstraite. Dans le cas du votre, vous avez un condensé des deux sortes, puisque les objets sont des rhombes (plaquettes de bois que l’on fait tourner au-dessus de la tête, à l’aide d’une ficelle végétale ou de cheveux tressés, pour obtenir un bruit vrombissant). Ce même objet est beaucoup plus connu chez les aborigènes australiens et s’appelle « tchuringa ». Par contre le motif intérieur, se montrant sous forme de deux spirales têtes-bêches et enlacées, est le « few », que l’on retrouve sur la plupart des objets en bois gravés de la région. Je n’entre pas ici dans la symbolique, ce serait trop long…
Les fleurs, ou tout du moins ce qui s’apparente à tel, sont une pure imagination de l’auteur qui a voulu apporter son grain de sel…son coup de patte personnel.
Ce qui est important à voir, c’est la matière, qui n’est pas comme celle des tapa de Véronique, en mûrier, mais en banian (ficus…plusieurs variétés sont employées, ou en palétuvier). Ici aussi, c’est une sorte d’acculturation, car autrefois, et ce avant 1870, la matière de base n’était que le mûrier, dont la douceur au toucher et la finesse, n’ont rien à voir avec la texture des autres essences végétales. Il est vrai que ces tapa n’ayant plus un rôle vestimentaire mais uniquement décoratif, il n’était plus besoin de se casser la tête à travailler, beaucoup plus longtemps, une étoffe de qualité.
Les couleurs reprennent la logique de celles couramment employées ; le rouge restant un composé de terre latéritique avec des adjuvants végétaux – le blanc provenant de coquillages brûlés et concassés, et devenant de la chaux (chose qu’aucun Continent ne semble avoir oublié) – quant au noir, du charbon de bois.
On ne peut définir un sens à ces couleurs particulières…quoiqu’il puisse être accrédité la même source de valeur que celle donnée par les populations de la côte opposée (les Asmats). Dans ce cas, le rouge symboliserait le sang et se rapporterait à la force, la colère. Le noir introduirait la notion de désir sexuel chez l’homme ou la femme et pourrait se rapporter aux parties velues du corps. Le blanc, chose que l’on retrouve beaucoup aussi en Afrique, mais peut-être pour d’autres raisons, est un facteur de protection magique de la peau humaine. Au niveau de la sculpture il s’apparenterait totalement à cette peau. Ces dernières suppositions ne restant bien-sûr qu’une idée suggestive de ma part, et en considérant bien une analogie entre les communautés bordant le Pacifique et la mer de Torres.
J’ai fais un développé un peu plus exhaustif sur mon dernier livre, mais je ne peux tout retranscrire.
Bien sincèrement votre.
Alain
Pour Luc.
Chose promise, chose due, je viens vous donner quelques explications concernant votre étoffe d’écorce. Ainsi que vous le pensez, il s’agit bien d’un tapa à « touriste », ce qui n’enlève rien à la beauté des décors.
Je ne sais trop à quel endroit vous l’avez acheté ; ce peut être Port-Moresby, Lae, Madang…ou ailleurs en P.N.G., mais sachez qu’en réalité il doit provenir d’Irian Jaya, et plus précisément du lac Sentani. Irian Jaya et Papouasie Nouvelle-Guinée composent la même île de Papouasie et la séparation administrative ne fut réalisée que dans les années 1980 (le nord revenant à l’Indonésie – Irian Jaya – et le sud prenant son indépendance par rapport à l’Australie, P.N.G.).
Quoiqu’il en soit, ce type d’étoffe d’écorce est une acculturation totale des ethnies bordant le lac en question. Elles (les étoffes peintes) ne virent le jour, qu’au début du 20ème siècle (entre 1915 et 30), et ce sous l’influence d’un journaliste français –J. Viot-, lequel donna des crayons de couleur et encouragea les autochtones à dessiner. Il rapporta ces tapa ainsi colorés en Métropole et les montra aux artistes du mouvement surréaliste qui y trouvèrent source d’inspiration….la chose était jouée, et exposition sur exposition, cet art entra dans la vie coutumière des populations.
Dans la manière de pratiquer, il faut savoir que si les femmes battent la matière de base, seuls les hommes réalisent les dessins, reprenant souvent leur monde imaginaire déifié. Ce peut être des poissons, des insectes, des objets pour la partie figurative, ou des symboles géométriques pour la partie abstraite. Dans le cas du votre, vous avez un condensé des deux sortes, puisque les objets sont des rhombes (plaquettes de bois que l’on fait tourner au-dessus de la tête, à l’aide d’une ficelle végétale ou de cheveux tressés, pour obtenir un bruit vrombissant). Ce même objet est beaucoup plus connu chez les aborigènes australiens et s’appelle « tchuringa ». Par contre le motif intérieur, se montrant sous forme de deux spirales têtes-bêches et enlacées, est le « few », que l’on retrouve sur la plupart des objets en bois gravés de la région. Je n’entre pas ici dans la symbolique, ce serait trop long…
Les fleurs, ou tout du moins ce qui s’apparente à tel, sont une pure imagination de l’auteur qui a voulu apporter son grain de sel…son coup de patte personnel.
Ce qui est important à voir, c’est la matière, qui n’est pas comme celle des tapa de Véronique, en mûrier, mais en banian (ficus…plusieurs variétés sont employées, ou en palétuvier). Ici aussi, c’est une sorte d’acculturation, car autrefois, et ce avant 1870, la matière de base n’était que le mûrier, dont la douceur au toucher et la finesse, n’ont rien à voir avec la texture des autres essences végétales. Il est vrai que ces tapa n’ayant plus un rôle vestimentaire mais uniquement décoratif, il n’était plus besoin de se casser la tête à travailler, beaucoup plus longtemps, une étoffe de qualité.
Les couleurs reprennent la logique de celles couramment employées ; le rouge restant un composé de terre latéritique avec des adjuvants végétaux – le blanc provenant de coquillages brûlés et concassés, et devenant de la chaux (chose qu’aucun Continent ne semble avoir oublié) – quant au noir, du charbon de bois.
On ne peut définir un sens à ces couleurs particulières…quoiqu’il puisse être accrédité la même source de valeur que celle donnée par les populations de la côte opposée (les Asmats). Dans ce cas, le rouge symboliserait le sang et se rapporterait à la force, la colère. Le noir introduirait la notion de désir sexuel chez l’homme ou la femme et pourrait se rapporter aux parties velues du corps. Le blanc, chose que l’on retrouve beaucoup aussi en Afrique, mais peut-être pour d’autres raisons, est un facteur de protection magique de la peau humaine. Au niveau de la sculpture il s’apparenterait totalement à cette peau. Ces dernières suppositions ne restant bien-sûr qu’une idée suggestive de ma part, et en considérant bien une analogie entre les communautés bordant le Pacifique et la mer de Torres.
J’ai fais un développé un peu plus exhaustif sur mon dernier livre, mais je ne peux tout retranscrire.
Bien sincèrement votre.
Alain