par veronique » 05 déc. 2011, 22:07
Damnède ! Alors, voici le texte copié-collé. L'auteur est Mr BOULLIER
C’est le fleuve Cross, dont le cours est à cheval sur le Nigéria (à l’extrême sud-est) et le Cameroun (à l’ouest), qui a prêté son nom pour désigner la région qu’il traverse, la Cross River. Voisine de trois complexes culturels majeurs (au nord, celui de la Bénoué ; à l’ouest, celui des Ibo ; et, à l’est, le Grassland), la région de la Cross River s’est distinguée par l’emploi d’une technique artistique, hautement originale et unique en Afrique, qui consiste à recouvrir de peau animale, en générale d’antilope, une âme de bois. Cette technique fut utilisée pour confectionner des heaumes, des masques heaumes mais surtout des cimiers dont de très nombreux exemples figurent aujourd’hui dans les collections occidentales privées et publiques. Depuis sa découverte, cette pratique a captivé spécialistes et amateurs qui se sont interrogés sur la nature de la peau employée — était-elle humaine ? — et les raisons profondes du choix de ce matériau.
La fascination pour les œuvres couvertes de peau de la Cross River a eu plusieurs conséquences. Elle a tout d’abord occulté le reste de la production artistique et notamment la sculpture en bois, mais elle a aussi incité à classer les arts de la Cross River selon un critère technique plutôt que la stylistique habituellement employée pour attribuer les arts de l’Afrique à une ethnie. Ainsi, les œuvres recouvertes de peau sont données soit aux Ejagham soit aux Ekoï, et plus rarement aux Widekum[1] ; les extrémités de tambour en bois sont invariablement attribuées aux Mbembe[2] ; tandis que les cimiers et les masques en bois, sans couverture de peau, sont supposés “ Boki ”, dans la plupart des cas. L’ensemble des arts de la Cross River se trouve donc répartie sous cinq appellations ethniques.
La recherche que nous avons entreprise sur les arts de cette région (Boullier 1995) et, plus particulièrement, sur ce que recouvraient les différentes appellations ethniques en usage dans la Cross River nous a montré qu’il existait de nombreuses ambiguïtés. Celles-ci affectent tous les niveaux de l’étude des arts de la région de la Cross River, spécifiquement la géographie ethnique et, par conséquent, la géographie stylistique.
Si l’on recherche, par exemple, la logique d’attribution des œuvres couvertes de peau à l’une ou l’autre des appellations ethniques (Ekoï ou Ejagham), on comprend rapidement qu’elle n’est ni iconographique (ou stylistique) ni basée sur des données géographiques ou culturelles car il règne la plus grande confusion sur ces deux termes. Employés dans beaucoup d’ouvrages comme synonymes, ils recouvrent, selon les auteurs, des espaces et des populations bien souvent différents. Pour Harter (1994), les Ejagham seraient les Ekoï du nord ; alors que, pour Bockiau (Tamisier 1998) et de nombreux amateurs, Ejagham serait l’appellation anglophone du peuple nommé Ekoï par les francophones. Pour Thompson (1974) : “ Il y a beaucoup de termes pour désigner les Ejagham. Les Efik les appellent Ekoï. Les Efik désignent aussi comme Qua les Abakpa Ejagham de Calabar. Les Banyang de la région de Manfe appellent leurs voisins Ejagham Kéaka ” ; alors que, pour Campbell (1983) : “ Les Ejagham se composent essentiellement de groupes relativement petits connus actuellement en tant d’Akparabong, Etung septentrionaux et méridionaux, Ekwe, Keaka, Kwa et Obang ” ; et, enfin, Jones (1984) pense que le nom de Ekoï fut donné par leurs voisins à un ensemble d’ethnies, divisé par la frontière Nigéria / Cameroun, qui s’appellent eux-mêmes Etung et Ejagham du côté nigérian et Ekwe et Keaka de l’autre.
Dans le cas présent, une situation complexe fut simplifiée, en occultant tous les particularismes propres à chaque sous groupe, en désignant par Ekoï ou Ejagham un ensemble de groupes mitoyens parlant des langues ou des dialectes différents mais appartenant à un ensemble culturel proche. Mais “ Ekoï ” serait un sobriquet utilisé, à l’origine, par leurs voisins et repris ensuite par les occidentaux alors que “ Ejagham ” désignerait l’un de ces sous-groupes. Il serait donc plus juste.
D’un point de vue historique, c’est le sobriquet Ekoï qui apparaîtrait en premier, comme en témoigne, par exemple, la carte de Partridge (1905). La région, longtemps considérée comme hostile, n’a été pénétrée que tardivement par les Occidentaux ; les premières informations ont été obtenues, sur la côte, auprès des Efik. Ces derniers entretenaient des relations commerciales avec les Occidentaux, et désignaient les gens de l’intérieur des terres par le sobriquet Ekoï. En revanche, l’association des œuvres recouvertes de peau au terme Ekoï est plus récente et n’intervient pas, semble-t-il, avant les années 1930 ou 1940 (Catalogue de vente public 1930)[3]. Le processus d’attribution et son évolution reste toutefois à étudier.
Les ambiguïtés constatées dans les attributions ethniques se sont répercutées sur la géographie ethnique et stylistique. D’un auteur et d’une carte à l’autre (Nicklin 1984 ; Wittner, Arnett 1978 ; Blier 1980), les populations ne sont pas toujours situées aux mêmes endroits, et l’absence d’informations sur la collecte de toutes les œuvres conservées en Occident ne permet pas de croiser les données disponibles et d’établir l’ébauche d’une géographique ethnique plus convaincante. En effet, sur un corpus de plus de cinq cents œuvres attribuées à la Cross River, seule une vingtaine sont précisément localisées. Malheureusement, ces dernières ne s’apparentent ni au style ni à l’iconographie des œuvres considérées comme caractéristiques de la région.
Loin d’être abouties, les recherches que nous avons menées n’ont fait que mettre en évidence quelques-uns des écueils méthodologiques, révélateurs des problèmes posés par l’histoire des arts africains. L’histoire de l’art et, notamment, l’approche typologique du corpus contribueront peut-être à une meilleure compréhension des arts de la région de la Cross River, véritable charnière entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
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[1] Quelques masques heaumes et cimiers recouverts de peau, iconographiquement et stylistiquement bien distincts des autres productions utilisant la même technique, sont très justement attribués aux Widekum.
[2] Certaines sculptures attribuées aux Mbembe sont probablement Ibo.
[3] Ce catalogue (qui publie un des premiers cimiers recouverts de peau, sous le numéro 126) le décrit comme “ Tête de guerrier, en bois sculpté et tendu de parchemin, montée sur un socle cylindrique, les dents et les yeux sont en métal. Cameroun ”, mais elle n’est attribuée à aucune ethnie en particulier.
Eléments bibliographiques :
Blier S.P. 1980. Africa’s Cross River. Art of the Nigeria Cameroon border redefined. New-York : L. Kahan Gallery.
Boullier C. 1995. Approche des arts de la Cross-River. Mémoire de maîtrise d’histoire des arts africains. Paris : Université de Paris I (Panthéon — Sorbonne).
Campbell K.F. 1983. Nsibidi actualisé : une étude récente sur l’ancien système de communication des peuples Ejagham de la région de la Cross River du Nigéria oriental et du Cameroun occidental. Arts d’Afrique Noire, automne, 47, p. 33-45.
Catalogue de vente publique. 1930. Arts primitifs. Paris : Hôtel Drouot. Collection de M.R.T.
Harter P. 1994. Keaka, Kaka et " Kaka ". Le monde de l’art tribal, septembre, p. 45-48.
Jones G.I. 1984. The art of Eastern Nigeria. Cambridge: Cambridge University Press.
Nicklin K. 1984. Cross-River studies. African Arts, XVIII, 1, p. 24-27.
Partridge C. et al. 1905. Cross River Natives. Londres.
Tamisier J.-C. (sous la direction de). 1998. Dictionnaire des Peuples. Paris : Larousse et Bordas.
Thompson R.F. 1974. African art in motion. Icon and act in the collection of Katerine Coryton White. Los Angles: University of California Press.
Wittner M.K., Arnett W. 1978. Three rivers of Nigeria. Atlanta : High Museum of Art, Georgia.
Damnède ! Alors, voici le texte copié-collé. L'auteur est Mr BOULLIER
C’est le fleuve Cross, dont le cours est à cheval sur le Nigéria (à l’extrême sud-est) et le Cameroun (à l’ouest), qui a prêté son nom pour désigner la région qu’il traverse, la Cross River. Voisine de trois complexes culturels majeurs (au nord, celui de la Bénoué ; à l’ouest, celui des Ibo ; et, à l’est, le Grassland), la région de la Cross River s’est distinguée par l’emploi d’une technique artistique, hautement originale et unique en Afrique, qui consiste à recouvrir de peau animale, en générale d’antilope, une âme de bois. Cette technique fut utilisée pour confectionner des heaumes, des masques heaumes mais surtout des cimiers dont de très nombreux exemples figurent aujourd’hui dans les collections occidentales privées et publiques. Depuis sa découverte, cette pratique a captivé spécialistes et amateurs qui se sont interrogés sur la nature de la peau employée — était-elle humaine ? — et les raisons profondes du choix de ce matériau.
La fascination pour les œuvres couvertes de peau de la Cross River a eu plusieurs conséquences. Elle a tout d’abord occulté le reste de la production artistique et notamment la sculpture en bois, mais elle a aussi incité à classer les arts de la Cross River selon un critère technique plutôt que la stylistique habituellement employée pour attribuer les arts de l’Afrique à une ethnie. Ainsi, les œuvres recouvertes de peau sont données soit aux Ejagham soit aux Ekoï, et plus rarement aux Widekum[1] ; les extrémités de tambour en bois sont invariablement attribuées aux Mbembe[2] ; tandis que les cimiers et les masques en bois, sans couverture de peau, sont supposés “ Boki ”, dans la plupart des cas. L’ensemble des arts de la Cross River se trouve donc répartie sous cinq appellations ethniques.
La recherche que nous avons entreprise sur les arts de cette région (Boullier 1995) et, plus particulièrement, sur ce que recouvraient les différentes appellations ethniques en usage dans la Cross River nous a montré qu’il existait de nombreuses ambiguïtés. Celles-ci affectent tous les niveaux de l’étude des arts de la région de la Cross River, spécifiquement la géographie ethnique et, par conséquent, la géographie stylistique.
Si l’on recherche, par exemple, la logique d’attribution des œuvres couvertes de peau à l’une ou l’autre des appellations ethniques (Ekoï ou Ejagham), on comprend rapidement qu’elle n’est ni iconographique (ou stylistique) ni basée sur des données géographiques ou culturelles car il règne la plus grande confusion sur ces deux termes. Employés dans beaucoup d’ouvrages comme synonymes, ils recouvrent, selon les auteurs, des espaces et des populations bien souvent différents. Pour Harter (1994), les Ejagham seraient les Ekoï du nord ; alors que, pour Bockiau (Tamisier 1998) et de nombreux amateurs, Ejagham serait l’appellation anglophone du peuple nommé Ekoï par les francophones. Pour Thompson (1974) : “ Il y a beaucoup de termes pour désigner les Ejagham. Les Efik les appellent Ekoï. Les Efik désignent aussi comme Qua les Abakpa Ejagham de Calabar. Les Banyang de la région de Manfe appellent leurs voisins Ejagham Kéaka ” ; alors que, pour Campbell (1983) : “ Les Ejagham se composent essentiellement de groupes relativement petits connus actuellement en tant d’Akparabong, Etung septentrionaux et méridionaux, Ekwe, Keaka, Kwa et Obang ” ; et, enfin, Jones (1984) pense que le nom de Ekoï fut donné par leurs voisins à un ensemble d’ethnies, divisé par la frontière Nigéria / Cameroun, qui s’appellent eux-mêmes Etung et Ejagham du côté nigérian et Ekwe et Keaka de l’autre.
Dans le cas présent, une situation complexe fut simplifiée, en occultant tous les particularismes propres à chaque sous groupe, en désignant par Ekoï ou Ejagham un ensemble de groupes mitoyens parlant des langues ou des dialectes différents mais appartenant à un ensemble culturel proche. Mais “ Ekoï ” serait un sobriquet utilisé, à l’origine, par leurs voisins et repris ensuite par les occidentaux alors que “ Ejagham ” désignerait l’un de ces sous-groupes. Il serait donc plus juste.
D’un point de vue historique, c’est le sobriquet Ekoï qui apparaîtrait en premier, comme en témoigne, par exemple, la carte de Partridge (1905). La région, longtemps considérée comme hostile, n’a été pénétrée que tardivement par les Occidentaux ; les premières informations ont été obtenues, sur la côte, auprès des Efik. Ces derniers entretenaient des relations commerciales avec les Occidentaux, et désignaient les gens de l’intérieur des terres par le sobriquet Ekoï. En revanche, l’association des œuvres recouvertes de peau au terme Ekoï est plus récente et n’intervient pas, semble-t-il, avant les années 1930 ou 1940 (Catalogue de vente public 1930)[3]. Le processus d’attribution et son évolution reste toutefois à étudier.
Les ambiguïtés constatées dans les attributions ethniques se sont répercutées sur la géographie ethnique et stylistique. D’un auteur et d’une carte à l’autre (Nicklin 1984 ; Wittner, Arnett 1978 ; Blier 1980), les populations ne sont pas toujours situées aux mêmes endroits, et l’absence d’informations sur la collecte de toutes les œuvres conservées en Occident ne permet pas de croiser les données disponibles et d’établir l’ébauche d’une géographique ethnique plus convaincante. En effet, sur un corpus de plus de cinq cents œuvres attribuées à la Cross River, seule une vingtaine sont précisément localisées. Malheureusement, ces dernières ne s’apparentent ni au style ni à l’iconographie des œuvres considérées comme caractéristiques de la région.
Loin d’être abouties, les recherches que nous avons menées n’ont fait que mettre en évidence quelques-uns des écueils méthodologiques, révélateurs des problèmes posés par l’histoire des arts africains. L’histoire de l’art et, notamment, l’approche typologique du corpus contribueront peut-être à une meilleure compréhension des arts de la région de la Cross River, véritable charnière entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
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[1] Quelques masques heaumes et cimiers recouverts de peau, iconographiquement et stylistiquement bien distincts des autres productions utilisant la même technique, sont très justement attribués aux Widekum.
[2] Certaines sculptures attribuées aux Mbembe sont probablement Ibo.
[3] Ce catalogue (qui publie un des premiers cimiers recouverts de peau, sous le numéro 126) le décrit comme “ Tête de guerrier, en bois sculpté et tendu de parchemin, montée sur un socle cylindrique, les dents et les yeux sont en métal. Cameroun ”, mais elle n’est attribuée à aucune ethnie en particulier.
Eléments bibliographiques :
Blier S.P. 1980. Africa’s Cross River. Art of the Nigeria Cameroon border redefined. New-York : L. Kahan Gallery.
Boullier C. 1995. Approche des arts de la Cross-River. Mémoire de maîtrise d’histoire des arts africains. Paris : Université de Paris I (Panthéon — Sorbonne).
Campbell K.F. 1983. Nsibidi actualisé : une étude récente sur l’ancien système de communication des peuples Ejagham de la région de la Cross River du Nigéria oriental et du Cameroun occidental. Arts d’Afrique Noire, automne, 47, p. 33-45.
Catalogue de vente publique. 1930. Arts primitifs. Paris : Hôtel Drouot. Collection de M.R.T.
Harter P. 1994. Keaka, Kaka et " Kaka ". Le monde de l’art tribal, septembre, p. 45-48.
Jones G.I. 1984. The art of Eastern Nigeria. Cambridge: Cambridge University Press.
Nicklin K. 1984. Cross-River studies. African Arts, XVIII, 1, p. 24-27.
Partridge C. et al. 1905. Cross River Natives. Londres.
Tamisier J.-C. (sous la direction de). 1998. Dictionnaire des Peuples. Paris : Larousse et Bordas.
Thompson R.F. 1974. African art in motion. Icon and act in the collection of Katerine Coryton White. Los Angles: University of California Press.
Wittner M.K., Arnett W. 1978. Three rivers of Nigeria. Atlanta : High Museum of Art, Georgia.